NaNoWriMo - Day 5 - Labeur et Lauriers

Transgression du jour : aucune transgression. De temps en temps, ça fait du bien.

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Longtemps, je n'ai pas aimé le vert.

Je ne sais pas vraiment pourquoi. Je pourrais extrapoler à revers, dire que je ne connaissais pas cette couleur, qu'elle n'était pas représentée dans mon univers tangible. C'est faux, bien sûr : j'aimais les arbres et en voyais tous les jours - en particulier le marronnier biscornu de la cour de récréation de mon école primaire, que j'aimais par-dessus tout ; j'ai lu toute la Bibliothèque Verte, qui me semblait être l'étape merveilleuse de mon évolution de jeune lectrice - un sacré bond en avant après la Bibliothèque Rose. Dans la Bibliothèque Verte, des personnages commençaient à mourir, je commençais à pleurer, à perdre le sommeil pour lire une page de plus. Pourtant, je n'ai aucun souvenir vestimentaire (le vert ne va pas aux blondes), aucun souvenir de jouet ou de jeu (j'aimais Mario, Toad était une merveille dans les niveaux de glace, Peach faisait des sauts extraordinaires, mais Luigi me tapait sur les nerfs), aucun souvenir d'objet ou d'accessoire. L'émeraude de la Castafiore, offerte par le Maharajah de Gopal, me semblait être à elle seule le vaisseau de la vanité. Et ne parlons pas de la Kryptonite...

Je pourrais dire que j'étais plutôt une fille du bleu. Que le reflet du ciel de Haute-Savoie sur le Lac Léman m'a tout appris du monde et de moi-même.

Ce même panorama, ces mêmes reliefs, ces mêmes textures, et puis une infinité d'humeurs changeantes qui ont rythmé mes années adolescentes au point que je finisse par m'y identifier totalement. Ce lac prenait mes humeurs - ou prenais-je les siennes - jusqu'à influencer la couleur bâtarde de mes yeux.

Puis je suis devenue une fille de l'outrenoir, et par-là, de toute couleur que le noir permettait de souligner. Soulages m'a révélé que le noir n'existait pas pour dissimuler mais pour sublimer. Un copeau de blanc n'existe pas en lui-même. Puis il se trouve dans l'épaisseur du noir et soudain se transforme en lumière. Le noir va avec tout, tout va avec le noir. La mousse dense d'or blanc sur une pinte de Guinness, les éclats de framboise dans un chocolat amer. Le seul fil rouge qui attache un bouton à une veste de smoking, le seul trait bleu dans un dessin à la graphite...

Le noir est une passerelle. A quinze ans, mon cerveau a court-circuité devant les lignes de code des Matrix, aucun Captain's log ne me semble digne de se nom s'il n'est saisi en  Courier | et en vert . J'y mets la fiction, la science-fiction, le transhumanisme, le cliquetis du clavier sous les mitaines miteuses de tout mouvement de résistance qui se respecte. Ce qui est blanc est ergonomique, simple d'accès, verrouillé, mais je suis une créature du labeur, de la bidouille et de la saleté. Ce qui est blanc, trop blanc, ne m'inspire pas confiance, ne me met pas à l'aise. Le noir se salit et il s'en moque : le blanc, lui, s'en offusque toujours.

Puis c'est avec Miyazaki que je suis tombée dans le vrai sens du vert. Les luxuriants étalages de végétation mis en mouvement par le vent ou la course effrénée de créatures sorties en grande pompe de la mythologie nippone. Le vert comme sanctuaire végétal, comme berceau et sépulture du vivant. 

Pourtant, malgré mes efforts à l'apprivoiser, le vert, hors de ses plaquages naturels, m'échappe toujours. Je lui reconnais des réalités que je ne suis pas faite pour appréhender, des profondeurs qui me demeurent abstraites. Et c'est précisément dans ces dimensions que je me suis mise à l'aimer, par humilité, par élection, un peu comme on finit par aimer le familier qui jusqu'alors nous était imposé et dont on a appris au prix d'une opiniâtreté de tous instants à percevoir les qualités. A force de constater que ce qui lui était associé remportait des bastions discrets et réguliers, mon système s'est lentement accoutumé à sa présence. Aujourd'hui, je vois le vert comme marqueur d'une liberté qui échappe au confortable contrôle du systématique, comme porte-étendard de l'insaisissable, comme symbole du lâcher prise, il est devenu la couleur de la vigilance constante, celle qui me répète que rien n'est acquis, qu'aucun laurier ne ceint jamais longuement le front sous les assauts du vent si on ne prend pas la peine de le maintenir et de le sécuriser.

C'est le vert, la vraie couleur du labeur et de la discipline à laquelle on se livre entièrement pour ne jamais trébucher et basculer par paresse dans la médiocrité.

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